Les enregistrements extraits d’un dispositif de vidéosurveillance, les données collectées par un système de badgeage ou encore les écoutes téléphoniques par exemple peuvent-ils systématiquement être mobilisés par l’employeur à l’appui d’un licenciement pour faute ?Un employeur peut-il utiliser un moyen clandestin de preuve afin de caractériser le comportement fautif de son collaborateur ?Le juge prud’homal doit-il nécessairement écarter cette preuve illicite des débats ? Principe de loyauté et intérêt légitime peuvent-ils se concilier ?
La Cour de cassation a partagé sa position dans un arrêt du 8 mars dernier (Cass. Soc. 8 mars 2023, n°21-17.802).
Rappel concernant les obligations préalables à la mise en place d’un dispositif de contrôle de l’activité des salariés
Les faits
Une salariée engagée en qualité de prothésiste ongulaire est licenciée pour faute grave le 12 août 2013 en raison de nombreuses irrégularités concernant l’enregistrement et l’encaissement des espèces. Elle conteste son licenciement.
Le débat se cristallise autour de la recevabilité des moyens de preuve mobilisés par l’employeur à l’appui du licenciement, à savoir, la production en justice d’enregistrements extraits de la vidéosurveillance.
Cependant, l’employeur n’avait pas :
- d’une part, informé la salariée ni des finalités du dispositif de vidéosurveillance, ni de la base juridique qui le justifiait ;
- d’autre part, sollicité pour la période considérée, l’autorisation préfectorale préalable exigée par les dispositions alors en vigueur au moment des faits.
L’avis des juges
Compte-tenu des éléments précités, la cour d’appel, puis la Cour de cassation estiment que les extraits de la vidéosurveillance constituent un moyen de preuve illicite.
En présence d’un moyen de preuve illicite, un raisonnement en plusieurs étapes s’impose :
En l’espèce, la Cour de cassation en déduit que « la production des enregistrements litigieux n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur, dès lors que celui-ci disposait d’un autre moyen de preuve qu’il n’avait pas versé aux débats, peu important qu’elle ait ensuite estimé que la réalité de la faute reprochée à la salariée n’était pas établie par les autres pièces produites, la cour d’appel a pu déduire que les pièces litigieuses étaient irrecevables ».
En effet, l’employeur disposait d’un autre moyen de preuve, les résultats d’un audit, mais avait fait le choix de ne pas les verser au débat. Il pouvait donc atteindre le même résultat en mobilisant un moyen plus respectueux de la vie personnelle du salarié.
Dans le même sens, la Cour de cassation (Cass. Soc. 8 mars 2023, n°21-20.798) a considéré, à propos d’enregistrements issus d’un système de badgeage couplés aux données issues d’un logiciel de contrôle du temps de travail mis en place illicitement (ce dernier n’ayant pas été porté à la connaissance des salariés, ni soumis à une information-consultation des salariés), que les juges du fond devaient vérifier si cet élément n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et si l’atteinte à la vie personnelle du salarié n’était pas proportionnée au but poursuivi.
Notre analyse
- Un mode de preuve illicite utilisé par l’employeur n’est plus systématiquement écarté des débats. Le droit à la preuve doit être mis en balance avec le droit du salarié au respect de sa vie privée.
- A la lumière de ces décisions, il semble possible d’admettre que le droit de la preuve s’effectue au détriment des salariés puisque les employeurs recouvrent la possibilité, sous certaines conditions néanmoins, d’utiliser les données pourtant issues de moyens de contrôle irréguliers.
- Mais qu’en est-il lorsque c’est le salarié qui produit un moyen de preuve déloyal à l’insu de son employeur ? Par le passé, la Cour de cassation avait rejeté les enregistrements d’une conversation téléphonique effectuée par le salarié à l’insu de son correspondant, au motif de la déloyauté de ce procédé (Cass. soc. 29 janvier 2008, n°06-45.814).
- Cependant, au regard de cette nouvelle construction jurisprudentielle concernant la licéité de la preuve, la jurisprudence pourrait-elle être amenée à évoluer s’agissant de la déloyauté d’un mode de preuve produit par le salarié ?
- Elle admet déjà qu’il n’y a pas de déloyauté lorsque c’est un salarié qui remet à l’employeur un élément relevant de la vie privée d’un autre salarié (arrêt « Petit Bateau » Cass. soc. 30 septembre 2020, n°19-12.058).
- Plus encore, elle autorise un syndicat à produire des éléments portant atteinte à la vie personnelle des salariés (Cass. soc. 9 novembre 2016, n°15-10.203) dès lors que cette production est nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
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Le droit de la preuve n’a pas fini d’évoluer
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation devrait prochainement se prononcer sur la question de la preuve en matière prud’homale. En effet, la chambre sociale de la Cour de cassation a récemment ordonné le renvoi devant l’assemblée plénière de deux pourvois (Cass. soc. 1er février 2023, n° 20-20.648 et Cass. soc.1er février 2023, n° 21-11.330 ) concernant la recevabilité d’une part, d’enregistrements réalisés à l’insu du salarié, d’autre part, de conversations privées tenues par le salarié sur Facebook mais accessibles depuis son ordinateur professionnel.