Les deux décisions rendues par la chambre sociale de la Cour de cassation le 25 janvier 2023 (n°21-18.141et 21-19.169) sont l’occasion de rappeler que seule la modification d’un élément essentiel du contrat de travail du salarié nécessite son accord.

Un élément essentiel du contrat de travail : quelle définition ?

Missions confiées au salarié : modification ?

Les faits :

Dans la première affaire, un salarié occupait les fonctions de vice-président Business Partners au sein de la société IBM France, avant de se voir confier au cours de l’année 2011, les fonctions de Business Développement Exécutif du grand compte VEOLIA.
L’année suivante, il prenait acte de la rupture de son contrat de travail considérant que le seul fait de s’être vu imposer des fonctions « radicalement différentes » de ses précédentes fonctions constituait une modification unilatérale de son contrat de travail qui ne pouvait lui être imposée.

L’avis de la Cour de cassation : 

La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié et confirme la décision des juges d’appel en considérant que l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, peut changer les conditions de travail d’un salarié.

Elle rappelle que « la circonstance que la tâche donnée à un salarié soit différente de celle qu’il exécutait antérieurement, dès l’instant qu’elle correspond à sa qualification, ne caractérise pas une modification de son contrat de travail ».


Evidemment cette position est compréhensible dès lors que malgré cette évolution de missions, la position de ce dernier restait inchangée et qu’il n’avait subi « aucune rétrogradation ni déclassification démontrée et avait conservé sa rémunération fixe ».

Ce ne serait pas le cas, si la nouvelle affectation s’accompagnait d’une baisse de responsabilité (Cass. soc. 23 janv. 2019 n°17-27.200).

La même analyse doit être menée en cas d’ajout d’un échelon hiérarchique intermédiaire entre un salarié et le président de la société ou tout autre supérieur hiérarchique : si les fonctions et les responsabilités du salarié ne sont pas modifiées alors cette évolution n’implique pas en soi une rétrogradation ou un déclassement (Cass. soc. 23 mars 2012 n° 10-12.068).

Réjouissons-nous de cette position pragmatique de la Cour de cassation qui permet une évolution du salarié dans l’entreprise et une adaptation des compétences aux organisations !

Modification de la politique de frais professionnels

Les faits :

Dans la seconde affaire, dans la lettre d’engagement d’un inspecteur adjoint, datant de 1979, il était renvoyé explicitement aux conditions générales du personnel parmi lesquelles un accord du 26 février 1976 sur les conditions de déplacement prévoyant un remboursement des frais de déplacements.
Au cours de l’année 2014, l’employeur informe le salarié de l’attribution d’un véhicule de service en lieu et place de l’utilisation de son véhicule personnel avec remboursement des frais engagés.
Le salarié refuse, considérant qu’il s’agit d’une modification de son contrat de travail et saisit la juridiction prud’homale d’une demande de rappel de frais kilométriques et de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Nul besoin de préciser que la politique de frais professionnels n’est pas intrinsèquement un élément essentiel du contrat.

L’avis des juges :

Le salarié obtient gain de cause :

Les premiers juges, comme la Cour de cassation constatent que la lettre d’engagement renvoyait explicitement aux conditions générales du personnel.

Ainsi, le salarié bénéficiait de par son contrat de travail d’un remboursement de ses frais de déplacement.

Pour modifier sa politique de frais professionnels vis-à-vis de ce salarié, l’employeur devait donc obtenir son accord express.


On en revient aux éléments qui ont été déterminants du consentement du salarié lors de la conclusion du contrat :

  • non seulement les éléments intrinsèquement essentiels (qualification, rémunération, …),
  • mais également les éléments jugés suffisamment essentiels par les parties pour être contractualisés expressément.

    En pratique

    Lorsque vous envisagez de mettre en place une mesure qui affectera un ou plusieurs éléments du contrat de travail de vos salariés : interrogez-vous sur la nature de cet élément :

    Seul l’accord de performance collective permet à l’employeur de s’exonérer de l’accord du salarié quand bien même la modification résultant de la mise en œuvre de cet accord bouleverse les éléments essentiels de son contrat de travail.

    Rappel concernant les salariés protégés

    De jurisprudence constante, aucune modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail ne peut être imposée à un salarié protégé.

    L’employeur doit d’abord proposer la modification à l’intéressé, qui peut la refuser.

    Dans ce cas, l’employeur renonce à la modification ou engage la procédure spéciale de licenciement.